Tout a la responsabilité de tout

Le culte de l’individu, l’exacerbation d’un moi qui s’améliore et se développe au gré de sa volonté, crée l’illusion de l’auto-déterminisme social incarné par le célébrissime « quand on veut on peut », ou encore par le tout aussi culte « devient la meilleure version de toi-même ».

Tout a la responsabilité de tout

Tout a la responsabilité de tout 940 360 Christophe LE BEC

Je me demande parfois à qui s’adressent les enseignants spirituels lorsque j’entends ou lis certains points de vue… S’adressent-ils à l’humanité toute entière, comprenant le migrant sur son bateau au milieu de la Méditerranée, la femme afghane sous sa Burqa, le livreur Über Eats sans papiers, l’employé exploité d’un centre de tri Amazon, ou bien s’adressent-ils particulièrement aux catégories sociales CSP+ qui les consultent ou lisent leurs livres : des cadres stressés aux professeurs de lycée qui ont lu Jean Klein ou Ramana Maharshi et qui ambitionnent peut-être de se rendre en Inde cet été ?

L’égalité n’existe pas, nulle part…

De nombreux discours spirituels se cognent parfois aux murs de la réalité de certaines personnes. Vivre l’instant présent, laisser passer ses pensées comme des nuages dans le ciel, accueillir son émotion et se laisser traverser par elle, peut apparaître comme autant d’injonctions irréalistes pour les personnes souffrant d’un TDA/H, d’autisme, d’addictions diverses, d’hypersensibilité ou qui ont un haut potentiel intellectuel, et parfois tous ces troubles à la fois. De la même manière, les personnes souffrant de maladies chroniques peuvent avoir la sensation, à écouter les mêmes enseignants spirituels, qu’ils ont l’entière responsabilité de leur maladie et de leurs échecs professionnels ou amoureux, qui parfois en découlent ; et ceux qui, au travail, se ressentent comme n’ayant aucune marge de manœuvre dans des métiers qui n’ont plus aucun sens, avec des objectifs chaque année plus contraignants sont renvoyés à leurs pensées, avec des « slogans » tout fait et impensés du genre : « On ne voit chez l’autre que soi-même », etc.

Et le système et le déterminisme social, on en parle ?

Le culte de l’individu, l’exacerbation d’un moi qui s’améliore et se développe au gré de sa volonté, crée l’illusion de l’auto-déterminisme social incarné par le célébrissime « quand on veut on peut », ou encore par le tout aussi culte « devient la meilleure version de toi-même ». Les adeptes de ce discours se perçoivent, de fait, comme les auteurs de leur vie, le centre de leur monde, autour duquel tout le reste s’articule et gravite. Cette même perception se trouve au cœur de la société capitaliste où les plus aisés revendiquent toujours le mérite de leur réussite sociale et de leur mode de vie. Seuls leur talent unique et leur travail acharné auraient permis leur réussite. Pourtant, toutes les études sociologiques démontrent qu’il ne s’agit que d’un mythe.

J’ai le sentiment que certains courants du développement personnel et de la spiritualité font clairement le jeu du capitalisme en rendant l’individu seul responsable de ce qu’il vit, en le mettant constamment au centre du jeu. L’homme se trouve alors seul face à lui-même, à ses pensées, à ses réussites ou ses échecs. Cette individualisation interdit tout questionnement sur la responsabilité du système social, économique, familial.

Quid de la lutte des classes, de la violence économique, du patriarcat ?

On n’en parle pas dans ce milieu, ou très peu, et toujours de manière assez vague, comme si cela restait très secondaire. À chacun de s’adapter. Pourtant, laisser passer les pensées me semble nettement plus facile lorsque l’on vit de ses rentes dans un quartier huppé, que l’on peut décider à tout moment d’aller à l’autre bout du monde pour s’aérer l’esprit ; et beaucoup plus compliqué lorsque l’on vit seul(e) avec trois jeunes enfants dans une cité difficile, que l’on fait des ménages à l’autre bout de l’Île-de-France avec des horaires subies à mi-temps ou en 3/4 de temps. Desmond Tutu disait quelque chose qu’il me semble bon de rappeler : “Si tu es neutre en situation d’injustice, c’est que tu as choisi le côté de l’oppresseur.” J’ai l’impression que trop souvent, les adeptes du développement personnel et de la spiritualité évacuent d’un revers de main la réalité du monde, fondée sur l’exploitation des plus faibles au seul profit des dominants. Il en va pour la nature, les animaux, les ressources naturelles, comme pour les plus pauvres et les plus fragiles : femmes, enfants, minorités, immigrés…

Et la chimie, on en parle ?

La dopamine, un neurotransmetteur très important dans le cerveau, régit le plaisir, les comportements et les mouvements volontaires et la coordination des mouvements. Elle intervient dans de nombreux troubles : TDAH, obésité, conduites addictives ou schizophrénie, etc. Cela concerne énormément de gens en France et dans le monde. Juste pour évoquer rapidement de quoi il s’agit, sachez qu’il existe plusieurs récepteurs dopaminergiques, notamment le D1 (et les D1-like) et le D2 (et les D2-like) que l’on retrouve dans de nombreux neurones du cerveau et à de nombreux endroits de ces neurones. En fonction de l’endroit où ils se trouvent, dans le cerveau et au sein des neurones, ils vont avoir différents effets. Le D1 et le D2 ont des actions assez antagonistes. Pour simplifier, disons que l’un accélère et l’autre freine. Il s’agit d’interactions très complexes que la science peine encore à éclaircir. Je n’ai absolument pas les compétences pour aller plus loin, mais je vous encourage à lire un peu de la littérature scientifique sur le sujet, simplement pour vous rendre compte de la complexité apparente de la chose et percevoir à quel point, vous et moi, ne savons pas. Ne savons rien de ce qui nous agit. L’incapacité à méditer, un stress permanent, des ruminations que l’on ne peut stopper, n’ont pas toujours de rapport avec notre « état d’esprit » ou notre ouverture, mais beaucoup avec la chimie du corps. Regarder en face, avec humilité, cette ignorance du pourquoi, me parait salutaire. Cela vient me rappeler que je reste un inconnu pour moi-même, tout autant qu’un inconnu pour ceux que je croise dans la rue, et vice versa. Et cela m’incite a demeurer humble devant les évènements extérieurs, devant mes emportements, mes peurs ou mes incertitudes, et ceux des autres.

Je dis cela car j’ai parfois l’impression que la complexité du fonctionnement humain et sa part de mystère qui demeure, même pour les scientifiques les plus avancés, ne semble pas beaucoup ébranler les certitudes de certains adeptes de la spiritualité, de la psychologie ou du coaching. Ils vont vous expliquer doctement votre erreur, pourquoi vous vous sentez malheureux, pourquoi vous fuyez dans les addictions ou pourquoi vous ne parvenez pas à entreprendre des actions simples. « Vous ne faites pas silence, vous ne regardez pas en vous-même, vous vous confondez avec votre mental, et cetera. » : vous, vous, vous, toujours vous et votre mental. Certains enseignants spirituels me semblent regarder la plèbe de haut, avec une explication à tout.

Ces personnes se permettent trop souvent de parler de vous avec leur référentiel, sans jamais s’apercevoir, ou en oubliant trop facilement, que ce référentiel leur appartient, qu’il a souvent un caractère très auto-centré, occidental et plus ou moins aisé. Non, une femme qui regarde le monde derrière sa burqa au fin fond de l’Afghanistan ne porte pas l’entière responsabilité du regard qu’elle porte sur elle et le monde, sur sa condition ; pas plus que la personne obèse ou l’alcoolique qui ont un problème de verrou dopaminergique, pas plus que vous d’ailleurs, ou moi, ou je ne sais quel coach ou hypnothérapeute. Soyons clair, je vous encourage à ne jamais laisser quelqu’un vous expliquer que vous vous trompez sur vous-même, et qui vous expliquera, quoi que vous en pensiez, comment vous fonctionnez et vos erreurs de perception. Que cela se passe dans une discussion au bord d’une piscine, dans un fil de commentaire sur Facebook, ou dans un stage de développement personnel, faites attention à ne pas vous faire abuser, ne croyez pas cette « autorité spirituelle » sur parole.

Le monde

Il me semble judicieux de rappeler que nous habitons un monde, une société complexe et que ce monde ne fonctionne pas sans vous et moi. Nous le façonnons et il nous façonne en retour. De la même manière, notre culture et notre langue, sa structure, façonnent le monde que nous voyons. Nous profitons du monde et/ou nous le subissons selon le moment ou l’endroit. Il existe une interconnexion permanente entre tous les éléments.

L’absolu

L’absolu n’existe pas. Une multitude de facteurs font que les choses apparaissent et vous n’avez pas la main dessus. Heureusement d’ailleurs. Il y a une multitudes de facteurs et il y a le hasard, l’heureux et le mauvais. L’heureux hasard peut prendre la forme d’une rencontre fructueuse, le mauvais la forme d’un accident ou de coups portés ou reçus. Vouloir tout expliquer ou tout accueillir revient à se prendre pour une sorte de Dieu omniscient.

Nous faisons partie d’un tout

Personne ne naît seul, personne ne grandit seul, personne ne réussit ou n’échoue seul. Ça n’existe pas. Ça n’a jamais existé. Il me semble très satisfaisant de reprendre sa place dans un écosystème, sa petite place, de ressentir profondément à quel point nous avons la position d’un élément dans un tout plus grand que soi. Le groupe, la communauté locale (la fratrie, la famille, le quartier, le village ou son territoire, l’école ou l’entreprise, le service dans l’entreprise, etc.), nous faisons tous partie de petits ensembles qui ont une place dans un ensemble plus grand, à l’image de la cellule humaine qui joue son rôle dans un organe, qui se situe lui-même dans un système, qui a une fonction dans le corps humain…

Toute l’horreur du monde, de mon point de vue, naît de la volonté de prendre le contrôle de la vie, de la nature et des autres, pour un écrire un récit personnel.

Compte tenu de la liste infinie des facteurs nécessaires pour que quelque chose se produise, on ne peut s’empêcher de reconnaître que tout est responsable de tout, quelque soit son éloignement.. La croyance que vous êtes l’auteur est un mythe né de l’illusion du « moi » et du « mien ».

Nisargadatta MAHARAJ

Christophe LE BEC

Accompagnements individuels - Réflexologie -Access Bars

All stories by : Christophe LE BEC
  • Merci pour ce texte que j’ai Aimé lire et qui tombes pic
    J’ai beaucoup de mal à m’exprimer aussi bien que vous sur ces sujets
    Je m’aperçois que je suis tantôt trop extrême ou noyée par mon ignorance et du coup je suis coincé dans un inconnu qui reste dans la gorge
    Je suis désolée de ne pas laisser un commentaire plus éloquent
    En regardant l’humilité et m petite personne dans le tout je pense bien que tout compte à chaque instant pour tout et que tout m’échappe du coup j’observe tant bien que mal .
    Malgré tout j’arrive à un endroit important ou tout de même certain point son plus clair
    A fir e de s’ouvrir me perdre ou essayer d’écouter des personnes comme vous qui s’exprime clairement sur ces sujets
    Revenant de loin j’ai traverser de telle turbulence que j’arrive à comprendre ce que vous exprimer sur les différences sociales ou les divers experiences de l’être humain
    Certaines personnes sont très limites par les maladies ou faits divers
    Chacun est une partie du puzzle
    Mais voilà à quoi ressemble de loin ce puzzle
    En l intégrant au plus profond de moi
    On ne voit bien qu’avec le cœur ♥️
    St Exupery
    Il est du ressort de personne de voir d’un seul coup the big picture
    J’en suis aussi a pensé à Confucius qui prônait la patience patience patience
    Ce mot revient si souvent pour porter secour à mon moi qui patauge ici
    Mais j ai appris à nager un peu mieux
    Et grâce au fait que j’ai conscience
    Je ne suis pas seul
    Je cherche la lumière au plus profond des mondes et vous m’aider Christophe
    Merci pour cela

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.