Ici ou là, je lis, et je le vois aussi parfois autour de moi, le désir chez certains « chercheurs spirituels » d’affirmer très fort leur différence, l’expression de leur singularité. Cela prend parfois la forme d’un ras-le-bol ou d’un commentaire agressif contre ceux qui répètent les mêmes concepts entendus et lus un peu partout et qui invitent généralement au silence, à la voie impersonnelle, à revenir à soi, à retourner son attention vers l’observateur, etc.
Face au choix de se taire, c’est à dire de ne pas rajouter du bruit (des interprétations) aux pensées qui nous traversent et de revenir au silence, on oppose la confrontation directe à l’émotion, la vraie. En général, le drame personnel s’invite rapidement dans le propos. Difficile dans ce cas de faire entendre une autre voix. La maladie, la mort, le viol, l’agression, servent souvent d’argument massue. C’est la vie qui s’oppose à l’intellect, l’organique au cérébral. Moi j’ai vécu ce drame, alors tais-toi et retourne à ton silence. Il y aurait ceux qui vivent leur vie et ceux qui la pensent, ceux qui savent et ceux qui parlent, ceux qui expriment leur vérité unique et ceux qui se réfugient dans la posture de l’éveillé. La vie et le déni. Il me semble que la posture n’a pas de pays, pas de forme prédéfinie.
J’ai le sentiment qu’il y a beaucoup d’ego dans le fait de vouloir « crier » sa singularité ou même simplement de la dire à toute la planète, la partager en mots. La souffrance personnelle de l’un ne saurait prétendre servir de baromètre à l’ensemble des humains. La pensée que seuls ceux qui ont souffert, savent, n’a pas de sens. Qui peut qui peut dire qui a souffert et qui n’a pas souffert ?
Dans mon expérience, Être n’a pas besoin de se dire, de s’exposer en tant que tel. J’ai la sensation qu’en se définissant, on ne fait que figer une histoire, un personnage. Être se vit à travers le quotidien, dans l’incarnation, en allant chercher son pain ou en relevant son courrier. Je ne vois aucune nécessité de revendication là-dedans. Je parle uniquement en mon nom et de ce que je ressens. Et savoir que d’autres vivent autre chose, fait écho en moi. Je trouve cela génial et rassurant, même quand ils ont la tentation de me dire que j’ai tort et eux raison. Au besoin, je sais que je peux compter sur des éclairages différents sur ce que je vis.
On peut voir plus facilement avec la conscience, de façon plus distanciée, ou voir plus facilement avec le cœur, de façon plus intuitive. Chacun sa voie la plus naturelle pour se rencontrer, car au fond, il ne s’agit que de ça. Se rencontrer tel que l’on est, sans jugement, sans concept pour que la vie s’exprime pleinement à travers nous, pour que nous exprimions notre note sans nous limiter à une définition de nous toujours limitante, sans peur de ne pas être aimé pour cela. Il n’y a donc pas, à mon sens, des médiocres et des sachants, mais simplement des êtres authentiques et présents, ou pas. Je remarque que bien souvent, une voie mène à l’autre, qu’une forme d’équilibre, d’harmonie s’opère avec le temps. Sans doute une histoire de Yin et de Yang, de masculin-féminin, je laisse chacun en comprendre ce qu’il veut. Il existe autant de biais et autant de chemins pour Être que d’individus.
Je me sens de plus en plus joyeux à l’idée de rencontrer l’autre dans sa différence, là où il se tient, et j’ai de plus en plus envie de le/la/les laisser tranquille avec ça. Je sens bien que là où je me sens relié à l’autre est bien au-delà de ces questions de perceptions. Qui suis-je pour discuter de ce qui est vrai ou pas pour l’autre ? Ce que je goûte, c’est la Présence, la qualité de cette énergie aussi puissante qu’impalpable. C’est en cela que, pour ma part, je ne crois plus aux thérapeutes et à leurs « solutions » (j’ai été de ceux-là.).
Il n’y a pas de problème donc pas de solution ! Il y a juste à Être. Et cela me semble, en soi, une sacrée aventure.
Pour finir, deux jolies citations…
« Contempler est une manière de prendre soin.
C’est casser tout ce qui en nous ressemble à une avidité,
mais aussi à une attente ou un projet.
Regarder et s’émouvoir de l’absence de différence
entre ce qui est en face et nous. »
Le plâtrier siffleur, Christian Bobin
« Le retrait quand il n’est pas réactivité, ni fuite
Mais qu’il s’impose comme l’unique possibilité
Est un appel qu’il faut suivre sans négociations
Pour se donner sans distractions à ce qui s’offre.
Ce retrait là n’est pas un refus du monde
Mais un temps de repos, de silence
Au cœur du monde
Sans attentes ni projets.
Dans la grotte obscure, la lumière explose
Se laisser mourir mille fois à son contact fatal
Puis laisser naître une parole, une action,
Fraîche, sans appartenance.
Nathalie Delay