On ne sait pas

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On ne sait pas

On ne sait pas 1880 1250 Christophe LE BEC

Je ne sais pas. Je ne sais pas ce qui va arriver dans 5 minutes, ni demain, et encore moins dans 10 ans. Parfois, on croit savoir, on pense savoir ou on espère savoir, parfois même on a la certitude de savoir, mais en réalité nous baignons toujours dans l’incertitude la plus totale.

L’incertitude

Cette incertitude m’a saisi tout petit. J’avais six ans lorsque mon père se fit renverser par une voiture dans la banlieue de Nantes où il faisait la manche. Il n’avait que 28 ans et il vivait à la rue. On n’a pas voulu que j’aille à son enterrement pour me protéger. Ce père déjà incertain et cette mort incertaine ont eu évidemment un immense impact dans ma vie. En une fraction de seconde, j’avais fait l’expérience que rien ne dure jamais, que l’idée même de se sentir protégé tenait de l’illusion, que l’incertitude de l’heure notre mort avait quelque chose d’effrayant et de constant. Cette peur m’a littéralement habitée, contrôlée de la tête aux pieds.

La peur

Je crois que nous avons tous en nous cette peur de l’incertitude chevillée au cœur. Nous l’assumons ou la fuyons plus ou moins. Notre ego cherche à nous en protéger à sa manière à lui en se racontant des histoires avec notre mental. Il semble rassurant de prime abord de croire que l’on contrôle sa vie, le monde autour de soi, ses relations. Le langage nous permet de dessiner les contours d’un monde connu et logique, apparemment rationnel, et nous apprenons à naviguer dans un espace restreint. Il y a le bien et le mal, le vrai et le faux, ce qui se fait et ne se fait pas, il y a le beau et le laid, l’agréable et le désagréable. Il y a des buts que l’on se fixe, des stratégies que l’on adopte. On se marie, on fait des enfants, ça semble solide, indéfectible. Et nous passons notre temps à vérifier auprès des autres que nous avons raison, en espérant qu’il voient bien le même monde que nous. Dans le cas contraire, nous les jugeons, les étiquetons comme cela nous arrange et nous pouvons continuer à dormir tranquille…

La culpabilité et le jugement

J’ai personnellement longtemps traîné cette peur viscérale de l’impermanence qui m’empêchait littéralement de vivre en m’acceptant avec mes failles. Je pensais, comme beaucoup de monde il me semble, que je ne faisais pas assez d’efforts, qu’il me manquait quelque chose. Je me faisais porter l’entière responsabilité de mon inadaptation. J’aurais tant voulu incarner autre chose que moi-même, autre chose que cette peur à laquelle je m’identifiais totalement. Je pensais qu’il fallait que j’apprenne à devenir différent, autrement, mieux, plus fort, plus déterminé. J’ai donc lutté, lutté beaucoup pour essayer de savoir ce qu’il fallait penser, faire et dire pour contrôler le cours des choses et les autres par la même occasion, maîtriser ma vie. Sans succès. Je me sentais toujours aussi incapable et inadéquat.

Et si on (se) mentait !

Alors plus prosaïquement, j’ai fini par chercher à masquer ce qui se vivait en moi, à faire comme si. J’ai essayé de me comporter comme quelqu’un de bien. J’ai imité au mieux ce qui m’apparaissait comme la bonne voie. Masquer ce que je ressentais pour faire illusion, j’ai l’impression qu’en fait tout le monde fait un peu ça, non ? Plus ou moins consciemment.

J’ai beaucoup fais semblant d’avoir des certitudes, et j’ai longtemps pensé en m’appuyant sur ces fausses certitudes ! Je pensais ma vie sur des rails, je me sentais sécurisé, je savais même où j’allais me faire enterrer plus tard et ça m’allait très bien. Jusqu’à ce que cela craque en moi, comme une fissure abyssale. Tout allait bien, et pourtant plus rien n’allait. Je ne savais pas pourquoi je me sentais aussi vide, perdu, anéanti.

Je ne sais rien. Absolument rien.

Le jour où j’ai accepté le fait que ma vie s’effondrait sur elle-même et que je ne contrôlais rien, j’ai ressenti une peur ineffable face à cette faille en moi. Je me trouvais face à ma peur fondamentale, celle qui a cristallisé une manière de fonctionner des dizaines d’années durant : ma peur panique face à l’incertitude de l’existence et surtout, mon refus de la vie.

Tout à coup, je renonçais. Je ne savais plus rien, je n’avais plus aucun avis, aucune idée de ce qu’il fallait faire. J’ai abdiqué, littéralement abdiqué devant la vie. La vie avait défait totalement le petit pantin apeuré qui s’agitait sur place jusqu’ici.

Tout passe

Étrangement, tout passe. La panique et la peur de mourir sur place ont fini par laisser la place à un grand sentiment de calme. Je n’avais plus d’autre choix que de faire confiance à la vie. Dans ce « Je ne sais pas » ce que je vais devenir, je sentais tout à coup une très grande paix, un vrai relâchement. J’ai accepté le fait que je ne savais pas comment je devais me comporter, ce que je devais faire ou ne pas faire, et j’ai décidé de dire oui, un grand oui à tout ce qui arrivait.

La vie sait

J’ai fait le choix de ne plus lutter, de faire confiance à la vie. Cela signifie quoi, concrètement ? Cela veut dire que je ne refuse plus ma peur ni mes angoisses, je ne les projette plus à l’extérieur en cherchant des raisons objectives à mes ressentis, mais je les regarde en moi, je contacte au plus que je peux mes émotions pour entendre ce qu’elles ont à me dire. Je n’entre plus en guerre contre la réalité, puisque je ne vois jamais que ma réalité à moi. Je regarde « mon monde » à travers mes sensations physiques, mes contractions, mon estomac, la position de mes épaules, etc. Car on perçoit d’abord physiquement le monde filtré par sa propre histoire, sa culture, son éducation, ses croyances personnelles. Je regarde ce que je crois, ce qui se vit en moi et qui m’appartient totalement.

Libre ?

Il me semble que lorsque ce « Moi » perd beaucoup en densité, la volonté farouche de défendre un personnage, une identité, des convictions, une certaine vision du monde, baisse d’autant.

« Je ne sais pas » n’a rien d’une posture. Il s’agit d’un point de départ. Le point de départ de tout questionnement, de tout ressenti.

À partir de là, on peut enfin interroger le langage, nos croyances, notre histoire, nos raccourcis intellectuels, et vérifier à quel point notre inclinaison à toujours penser de la même manière ne vise qu’à conforter que « je suis quelqu’un » et que j’ai raison, que je vis bien dans le monde que je vois, et que je dois faire en sorte que les autres valident ce que je vois. Cela permet accessoirement de pouvoir changer d’avis sur tous les sujets.

Franchement, quelqu’un sait-il pourquoi la terre tourne ? Pourquoi le soleil brille ? Comment est calculée la taxe d’habitation ? Comment fonctionne l’ESP (Electronic Stability System) sur votre voiture ? Comment va votre myéline ? Comment fonctionne le thymus ?

Nous vivons tous dans un monde dont nous ne pouvons expliquer ni même comprendre le fonctionnement. La situation actuelle (crise du Covid-19) vient mettre en lumière cette difficulté face à l’incertitude. La confusion qui règne entre science (connaissance) et recherche (doute), entre connaissance et croyance, fait le lit de toutes les théories alternatives au sujet de cette maladie, de son origine, de son traitement, des vaccins. L’illusion de savoir permet d’éviter d’affronter la réalité : personne ne sait.

Je ne sais pas…

On ne sait pas. Et au fond, on sait tous très bien que l’on ne sait pas. On vit, on ressent des émotions, chacun essaie de faire du mieux qu’il peut avec ça. J’en ai la conviction.

Face au monde que je vois, je tente de me mettre au clair avec ce que je ressens en moi, avec ce qui résonne en moi. Je sais que je vis dans le monde de mes perceptions. Vouloir convaincre les autres de la réalité de mon monde n’a pas de sens, vouloir les convaincre que leur monde n’existe pas n’a pas plus de sens (j’en sais quelque chose pour l’avoir beaucoup fait, et le faire encore parfois ! 🙂 )

Chacun vit dans son monde.

La réalité prend la forme de ce qu’il se passe, sans aucune interprétation.

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Christophe LE BEC

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