J’aurais pu intituler cet article « Rien ne va plus », tant je semble pris dans une valse à douze temps, un genre de tsunami émotionnel. J’ai choisi « Noir Éclair » parce que ce que je retiens de tout ce charivari sans nom, c’est la lumière qui cherche à éclairer les zones d’ombre en moi. Zones que je cherche encore, malgré tout, à éviter, à regarder de biais, ou même à fuir. Je ne peux que le constater. La résistance est partout. Dans mes pensées, mes tendons, dans ma respiration trop courte, dans mon corps qui s’amaigrit de plus en plus, comme s’il cherchait à disparaître carrément. « Mon monde » n’a plus ni sens ni consistance, il est constitué de courants d’énergies froides et brûlantes, aériennes et souterraines, de tourbillons vibratoires ou d’une densité quasi visqueuse, de tunnels qui me plongent dans le noir absolu, et par instants de jaillissements d’une lumière crue, aveuglante. Mais paradoxalement, je me sens vivant, jusque dans mes faussetés, « mes erreurs » d’interprétation. Je demeure présent à ce qui est malgré tout, à cette agitation morbide qui m’habite.
Mais revenons un peu en arrière…
Retrait
Quand la tension devient trop forte, que tu ne parviens plus à simplement être présent à ta vie et aux autres, que la tempête s’abat sous ton crâne, alors il est peut-être temps de te retirer. Pas besoin de partir dans les hauteurs himalayennes pour te ressourcer auprès d’un guru, une cabane au fond du jardin, la maison de vacances d’un ami ou un mobile home dans un camping hors saison feront parfaitement l’affaire. Si tu as trois jours de libres devant toi, alors fonce.
Ferme la porte à clé derrière toi. Dépose-la dans un tiroir. Laisse les volets clos, n’allume pas la lumière, demeure dans la pénombre. Pose-toi dans un fauteuil et reste assis, laisse venir ce qui vient : les tensions, les tremblements, la peur, la colère, la tristesse infinie. Si tu es fatigué, dors. Surtout prends le temps d’attendre, ne précipite rien. Simplement, accueille ce qui surgit, sans rien chercher à changer, sans rien juger, sans aucune attente.
C’est ce que j’ai fait au mois de mai 2019. Je l’ai fait simplement car je ne voyais plus quoi faire d’autres que de me tenir à l’écart du monde pour ne pas prendre de décisions sous le coup de l’émotion, et peut-être y voir plus clair en moi.
La chaise
Une chaise au milieu d’une chambre plongée dans le noir, tel a été mon environnement principal durant trois jours. Ça peut sembler une éternité, trois jours, dans ce contexte. Une heure ou une minute peuvent parfois sembler interminables pour qui, comme moi, à du mal à rester en place quand ça tangue. Pas facile de demeurer sur la chaise, de faire silence, attendre, laisser l’agitation vous prendre partout, laisser l’envie de partir m’envahir, la colère contracter mes mâchoires, finir par se relâcher, presque s’endormir sur la chaise, puis d’un coup, sentir l’agitation reprendre toute la place.
De temps en temps, il m’apparaissait juste impossible de rester. Je descendais alors dans la cuisine pour faire le tour de la table, pris dans des pensées sombres, des envies de décisions hâtives et définitives.
Process
Ce processus étrange s’apparente à une grande lessive. Qu’ai-je vu de moi que je n’avais jamais perçu encore durant ces trois jours de mise à l’écart ?
Cette expérience riche d’enseignements a laissé des traces, creusé un sillon profond dans lequel une sève fraîche et bouleversante, s’écoule doucement depuis, presque insidieusement. Une fois retourné chez moi, j’ai décidé de quitter ma femme, j’ai aussi décidé de cesser toutes mes activités de thérapeute ainsi que mes accompagnements individuels. Renoncer ne m’a demandé aucun effort, ce fut même un soulagement de tout envoyer balader. Cela m’a semblé un préalable incontournable. Comme arrêter de fumer, de boire ou de regarder les matchs de foot peuvent représenter un jeun salutaire pour opérer un reset du système, évacuer les pensées et les croyances nées de mes conditionnements passés.
J’ai pu vraiment ressentir, très concrètement durant ce court temps d’isolement, comment dans le silence et l’abandon, les pensées se déposent, comment les interprétations, les croyances perdent toute puissance. Cela ne résout rien. Cela ne change rien en soi. Le silence stoppe simplement le mental. Le moteur s’arrête. Et avec lui toutes les attentes que l’on entretient mécaniquement depuis l’enfance.
Le corps immobile, ne ressent alors plus aucune pression, aucune tension, aucun devoir, aucune nécessité d’agir ou de penser le monde. Ce monde linéaire, structuré, narratif, disparaît en quelque sorte, l’histoire a semblé s’évanouir tout autour de moi pour laisser toute leurs places aux émotions qui demeuraient jusque là bloquées dans mon ventre, dans ma gorge. J’ai ressenti alors beaucoup de tristesse. Énormément. De la colère aussi, et un wagon de peurs qui me paralysaient sur place. Quand on se met hors le monde, à l’écart du quotidien, des routines, des obligations que l’on se donne habituellement, alors les émotions émergent dans le silence et la grande lessive peut s’opérer d’elle-même. Je vous préviens, ça fout la gerbe, des suées nocturnes, des maux de tête, pas mal de cauchemars et d’envies de règlements de compte, d’explosions en cascade.
Deux mois plus tard…
Je ne me sens pas spécialement différent. Le personnage tient toujours son rôle, avec toujours aussi peu de convictions. Je me sens simplement beaucoup plus vulnérable, beaucoup plus l’objet de mes peurs, de mon refus obstiné à être. Je vis très honnêtement, sans rien cacher ce qui me traverse, et j’incarne totalement mes émotions, pour le plus grand désagrément de ceux qui m’entourent. Si ça tempête de partout en fait, cela a aussi des cotés plus agréables !
Ma femme et moi avons fait tomber quelques barrières constituées de non-dits et/ou d’incompréhensions, et surtout d’attachements. J’ai ainsi découvert à quel point je confondais Amour et attachement. Nous nous sentions attachés l’un à l’autre à travers un entrelacs de blessures personnelles. Prendre le temps de regarder honnêtement ce qui nous semblait vrai dans la relation et ce qui nous apparaissait comme de la peur, ou un manque à combler, a laissé comme un grand vide. Dans ce grande vide entre nous, aucune attente. Rien. Et sans attente, nous avons remarqué que plus aucun problème n’existait alors dans l’instant présent. Revenus ensemble, notre relation a radicalement évoluée, à tous les niveaux. Sexuellement, cela s’apparente à une révolution. Absolument tout a changé dans notre manière de faire l’amour, comme dans nos ressentis respectifs. L’honnêteté vis à vis de ce que nous ressentons fait office de règle de vie que nous respectons. Ce partage crée immanquablement des tensions et une juste confrontation avec ce qui se vit là, dans l’instant. Ainsi, au moment où j’écris ces lignes, c’est chaud patate entre nous : je n’ai envie de rien, juste de foutre la merde car je me sens nul et vide. Et cela m’énerve, me fiche en rogne. J’ai envie de claquer toute personne ayant des velléités de m’expliquer la vie ou de me m’enseigner une vérité ou une façon « adéquat » d’appréhender le monde qui m’entoure. J’ai suffisamment pensé que j’avais une bonne lecture des êtres et des émotions pour savoir que toute pensée posée sur ma situation ou sur ma personne m’enfermerait dans une croyance ou un dogme. Il n’y a rien à penser, rien à changer, rien à faire à ce qu’il paraît. Je m’en tiens à ce postulat et je vis chaque instant avec une intensité que je ne connaissais pas jusque là !