Le mauvais cheval

Depuis tout petit, je triche, je feins, j’abuse. Et je continue aujourd’hui : j’esquive avec les papiers administratifs, je ne fais pas mes comptes, je n’ai plus guère de moyens de subsistance, les sources se sont taries petit à petit. J’en ai pris mon parti...
je suis un mauvais cheval

Le mauvais cheval

Le mauvais cheval 1920 1271 Christophe LE BEC

J’incarne celui là. Le mauvais cheval, jamais dans les clous, jamais opérant, ni comme espéré, celui dont on se méfie : le mauvais fils, mauvais élève, mauvais frère et père inconsistant. « Lui, il a jamais aidé personne ! » ou « Il en a rien à foutre des autres ! », « Il fuit, il n’a pas de couilles. », « On ne peut pas lui faire confiance ! ». Je me perçois ainsi dans les yeux des autres, qui sont autant d’écrans pour mon petit cinéma personnel. Tout ça a la consistance d’une histoire qui revient me chercher de loin en loin, rien de plus. Je le sais, mais je m’y accroche immanquablement comme la moule à son rocher.

Depuis tout petit, je triche, je feins, j’abuse, je bricole avec la vie pour passer entre les gouttes. Je poursuis mon chemin : j’esquive avec les papiers administratifs, je ne fais pas mes comptes, je mens à ma famille, je n’ai plus guère de moyens de subsistance, les sources se sont taries petit à petit. Je fais comme si de rien, j’en ai pris mon parti : il y a bien plus compétent que moi en toute chose que j’entreprends, alors à quoi bon lutter ? Pourquoi vouloir encore jouer le jeu du monde ? Pourquoi faire semblant d’être autre chose que… Ça ?

Je ne sais pas ce que je fiche ici, ni comment on fait. Je me contente de faire semblant en surface. Je squatte la maison de vacances de mon frère depuis des mois, je pompe son électricité, son eau. Je profite tant que ça veut bien durer. Je ne me sens concerné par rien, ni personne. Voilà la partition que j’ai décidé de jouer dans la comédie humaine.

Je sens que vous êtes toutes et tous plus ou moins comme moi. Chacun son rôle. Peut-être que j’ai beaucoup plus d’ego que celles et ceux que j’ai côtoyé jusque là. Ça me paraît probable en relisant ces lignes. Je n’ai aucune illusion quant à ma personne. Je triche en conscience. Cela ne fait pas de moi un être plus malin. Je triche comme chacun triche, pas plus, pas moins. Je n’ai rien d’une « bonne personne », je le sais bien, je ne m’aime pas plus que je ne vous aime, et je constate tous les jours à quel point je me comporte en infirme social. Je ne vais pas vous raconter d’histoire, j’ai tout du loser. Mais les apparences ne sont que des apparences. Rien de plus. J’ai simplement décidé de croire à une histoire. Celle-ci ou une autre, ça n’a pas vraiment d’importance. Je suis à la fois celui qui regarde et celui qui se prend les pieds dans le tapis.

J’ai bien compris que la vie s’apparente à une sorte de jeu, avec ses règles, ses personnages, ses modes opératoires. Si j’ai souvent la sensation de ne jamais avoir eu les bonnes cartes, en réalité, je ne sais tout simplement pas jouer.

J’incarne ce rôle là. Le type qui met le jeu en échec en ne jouant pas les règles. Il en faut toujours un n’est-ce pas ? Alors pendant que je m’arrange de mes faibles moyens ; je regarde et je vois. Je me vois, et je vous vois. Voilà bien la seule chose que je sache faire. Regarder et me moquer, regarder et comprendre, regarder et aimer… de temps en temps.

Je te regarde changer de cheval toujours et encore en espérant trouver la joie ; et je me sens intensément relié à toi, moi le si mauvais cheval, qui ne demande qu’à jouer dans ton histoire, l’ami. Je n’ai guère d’appétit pour la vie. Je ne sais jamais où me foutre. Écrire au fond est le seul domaine dans lequel je me reconnais une certaine compétence.

Tous ces mots qui construisent un récit ne reposent que sur 26 lettres. Tout paraît vrai, mais tout semble faux dans nos regards posés sur la vie. Nos chers récits agissent comme autant de mythes, ils viennent simplement conforter nos croyances en générant des émotions, des sensations physiques bien connues. Ces sensations, agréables et légères, douces et lumineuses, ou désagréables et denses, lourdes et sombres, nous font l’effet de madeleines de Proust. Les mots nous apparaissent alors comme des menteurs rassurants.

Abandonnez l’histoire, et vous vivrez la vie ! Vous la vibrerez et vous la serez à chaque seconde !

“Nous avons tous trop souffert, anges et hommes,

De ce conflit entre le Pire et le Mieux.”

Paul Verlaine – Jadis et Naguère

Christophe LE BEC

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