Échouer. Je l’ai longtemps vécu comme une fatalité, presque comme une condamnation divine. J’ai tellement échoué, raté, chuté, renoncé, abdiqué que j’ai fini par en faire une sorte d’identité : le raté magnifique, le loser talentueux, peureux, introverti, voire dépressif, avec l’impression d’être programmé pour l’échec presque mécaniquement. En réalité, chacun connaît l’échec, même Lionel Messi ! Plus ou moins souvent, et de façon plus ou moins dévastatrice. L’échec appartient à l’humanité toute entière, on le retrouve inscrit en chacun de nous, au creux de nos tripes.
L’échec, dans nos sociétés occidentales, tient une place prépondérante, au même titre que la réussite dont il fait office de pendant. L’opposition, la compétition, la confrontation, le bien et le mal, le mieux et le moins bien, le vrai et le faux, gagner ou perdre, posséder ou manquer, toute notre existence semble ainsi tendue entre les deux pôles antagonistes de la réussite ou de l’échec. Entre les deux, point de salut.
D’où je parle ?
Pour ma part, j’ai davantage côtoyé ce que l’on nomme « l’échec » que ce que l’on nomme « la réussite ». J’ai lutté beaucoup, j’ai pensé bien du mal de ma personne, des mes actions comme de mes renoncements. J’ai proféré énormément de « Mais quel con ! » à mon encontre. J’ai ruminé, ressenti de la rancœur, j’ai eu tendance à me refermer sur moi-même dans mes jugements saboteurs et à me réfugier parfois dans les addictions pour supporter ma peur du monde. Et cela a duré de très longues années, de mon adolescence jusqu’à ce que je cesse de juger ma personne, mes pensées, mes actions, pour simplement « Voir ».
Voir ce qui est, voir ce qui se passe en moi et ne plus fuir. Cela a radicalement changé la perception que j’avais de moi et du monde. J’ai cessé de m’entêter à vouloir réussir ou à vouloir être « mieux » pour simplement accueillir ce que je suis, ici et maintenant. Car la vie se vit uniquement sur le fil de l’instant. Je ne peux jamais être ailleurs que maintenant.
Oser être soi, cela signifie simplement vivre, sans chercher à être différent, sans plus vouloir changer ou être plus heureux, mais au contraire accueillir pleinement ce que l’on est sans se mentir, avec nos limites, nos « défauts », nos manques qui se cachent dans le noir de nos profondeurs. L’authenticité véritable demande un vrai courage. Alors seulement, en laissant le silence agir comme une alchimie bienveillante en nous, et sans plus s’accrocher aux pensées qui nous agitent, on peut enfin se relier aux potentiels qui ne demandent qu’à s’exprimer à travers soi. Chaque être humain a des élans naturels, des talents qui s’expriment avec évidence si il s’autorise à les honorer.
On éduque nos enfants à réussir en les mettant en concurrence, en leur donnant des bons et des mauvais points, en leur apprenant « les bonnes manières ». On leur apprend de fait à se couper d’eux-même, de la joie qui les met en mouvement. Il me semble que l’on devrait leur apprendre à échouer, exactement comme on apprend les maths ou l’histoire-géo. Dans un premier temps important, je trouve judicieux d’interroger ce mot, de voir ce qui se cache derrière, de voir ce qu’il touche en soi. Car si on connaît tous l’échec, on n’en goûte pas tous les mêmes « saveurs ».
Un mot
En premier lieu, « échouer » n’a d’autre consistance que celle d’un jugement que nous portons sur notre action ; quelques lettres qui forment un mot. Lorsque je dis « j’ai échoué », je viens simplement coller une étiquette. Si je décide de ne plus étiqueter en bien ou en mal ce que je fais, je peux alors regarder une expérience dont je peux peut-être tirer un apprentissage, une leçon : « Tiens, quand je réagis de façon épidermique avant d’avoir pris le temps de peser ce que je ressens, alors mes mots, parfois violents, dépassent ma pensée ! » Cet exemple permet de voir qu’on n’a pas l’obligation de se juger tout le temps, de se dire : « mais quel con je suis ! » ou « Je suis trop impulsif… » « ou « je suis méchant ». L’échec n’a guère de réalité objective, il s’agit plutôt d’une expérience qui nous laisse un sentiment d’échec. Ces jugements, non seulement n’ont pas d’utilité, mais ils vous affaiblissent énergétiquement. Et par leur caractère définitif, ils vous empêchent de regarder sereinement ce que cet apparent « échec » vous dit de vous, et quelles solutions vous pourriez trouver dans telle ou telle situation.
Derrière l’échec
Alors derrière l’échec, que peut-on bien trouver de si joli ?
Dans mon expérience, le sentiment d’échec survient toujours lorsqu’il y a un décalage entre ce que nous voulons et ce que nous sommes, quand nos actions ne répondent pas à nos élans naturels, profonds, mais à ce que nous pensons devoir faire pour être aimé, pour réussir, pour gagner… Je m’explique. Imaginons un jeune bachelier qui rêve de devenir médecin ou infirmier. Si ce désir trouve sa source dans le besoin d’être reconnu pour se sentir digne d’être aimé, ou bien dans le désir de faire partie des notables, ou bien de gagner suffisamment d’argent ou pour obéir à une injonction familiale en faisant comme son père avant lui, et non dans l’élan de prendre soin, dans l’amour des sciences, alors, que cet étudiant réussisse à réaliser cette ambition ou non, dans les deux cas, il ressentira un jour ou l’autre un sentiment d’échec cruel, une sensation de vide intérieur très profond. On devrait plutôt appréhender le sentiment d’échec comme un message à décoder.
Aujourd’hui, mon travail d’accompagnement s’appuie grandement sur la notion d’échec, sur le fait d’aller à la rencontre de ce qui fait mal en nous, de ce nous cachons aux autres et à nous-même.
Voir
Il me semble hyper important de ne pas fuir les peurs, ces sensations désagréables qui nous serrent le bide, nous bloquent la respiration ou nous saisissent à la gorge et nous empêchent de dormir parfois. En les accueillant, en les laissant nous envahir et faire leur chemin en nous, la rencontre de ce que nous sommes réellement, de nos élans naturels, de nos talents peut émerger tout doucement. Lorsque l’on dit oui à la vie, lorsque accepte totalement sa vulnérabilité sans chercher à la fuir, alors les énergies se débloquent en nous. Immanquablement, les tensions se relâchent, les ruminations cessent, la peur disparaît. Ça prendra le temps qu’il faut. Si vous ressentirez peut-être le besoin de vous faire accompagner, faites-le. ( 🙂 ) L’homme n’a pas vocation à tout faire tout seul (j’en sais quelque chose !). Vous n’avez pas la main, il faut vous y faire. La vie décide, pas vous. N’ayez pas peur…
Le sentiment d’échec et la peur m’apparaissent indissociables. Si la peur dirige vos pensées et vos actions (la peur de ne pas être aimé et de se faire rejeter, abandonner, humilier, trahir, de subir l’injustice), alors vous vous coupez de vous-mêmes, de vos élans pour coller à vos conditionnements et aux injonctions familiales, culturelles, etc.
La lutte
Sans même nous en rendre compte, nous luttons contre nous-mêmes depuis notre plus tendre enfance. Nous luttons contre nos élans, nous nous contractons à longueur de journée pour ne pas laisser apparaître ce que nous sommes. Tant que l’on vit crisper pour ne pas montrer les failles en soi, on ne peut laisser la lumière entrer pour éclairer nos ombres et nourrir nos cellules d’une belle énergie de vie… Pourtant, une voix en nous sait, comprend tout de nos renoncements, de nos tactiques pour feindre, pour apparaître le plus « parfait » possible aux yeux des autres. Ce faisant, notre malaise intérieur grandit.
La voie de l’échec
Lorsque nous vivons alignés avec ce que nous sommes, ancrés les deux pieds dans le sol, la tête reliée aux étoiles, alors nous pouvons regarder nos sentiments d’échecs derrière les expériences vécues, et voir les enseignements et surtout les messages qui les accompagnent. Il n’y a rien à gagner et rien à perdre.