La perception, « je suis Christophe », c’est à dire un homme avec sa cohorte de petites définitions qui constituent une personnalité, et le sentiment parfois confus qui va avec, avec un passé qui influence un présent, et un présent qui conditionne un avenir, n’a jamais eu beaucoup de réalité pour moi.
Pendant des années, j’ai fait des efforts incommensurables pour tenter, non pas d’être (je ne savais absolument pas ce que cela pouvait signifier), mais simplement d’imiter les autres pour faire semblant d’être quelqu’un. Ce désir de faire semblant d’être quelqu’un s’est pour beaucoup disloqué quelques part sur les cotes du Pays Bigouden, dans le vent et la pluie (et sous le soleil aussi). Là, j’ai compris qu’oser être soi, c’est renoncer à être quelqu’un. Renoncer. J’étais donc étrangement au bon endroit depuis toujours, contrairement à ce que j’avais toujours pensé !
Plaire
Lorsqu’on ressent intensément le vide de sa personne, on désire plus que tout être vu, aimé pour ressentir à son tour l’illusion d’exister, le plaisir d’être quelqu’un. Comme les autres. Ça a été ma vie pendant toutes ces années. Il n’y a alors qu’une solution pour parvenir à ses fins : plaire, séduire. Et il n’y a plus que cela qui compte.
Plaire, c’est tout faire pour attirer le regard et goûter l’impression d’être, même si on sait que tout cela repose sur de la fausseté, de la malhonnêteté. Lorsque cela est vu, ce désir de plaire, de séduire, ne peut que tomber. Le château de cartes ne peut pas résister à la lumière de la vérité. C’est ce que je vis très intensément depuis quelques jours. Et ce n’est pas confortable du tout.
Être
Je pensais avoir déjà lâché beaucoup de fausseté, et là, je vois avec une acuité inconnue à quel point le désir de plaire, de séduire est encore à l’œuvre, et comment, dans cet aveuglement je peux avoir des comportements malsains ou violents parfois. C’est comme un iceberg énorme qui se détache et s’effondre en lui-même, qui se délite et se retourne pour retourner à la vastitude de l’océan. Cela occasionne de gros remous intérieurs, des vagues scélérates surgissent de nulle part et vous envoient par moment vers le fond.
Je sais que ce mouvement n’est pas près de s’arrêter. Je vais encore découvrir des parts dans l’ombre qui ne sont pas encore vues, dont j’ignore tout à ce jour. C’est un mouvement sans fin de toutes les façons. Plus on se dépose au cœur de soi, plus la lumière éclaire des espaces toujours plus grands. La perception d’être, non pas quelqu’un, mais simplement d’être s’est tellement élargie, que l’envie d’être le personnage a perdu énormément en consistance.
Un choix de perception
Dans nos vies, la perception d’être quelqu’un (ou de vouloir être quelqu’un pour ceux qui ont la sensation de ne pas exister, comme c’était mon cas) donne à chaque être humain l’illusion d’une densité, d’une réalité personnelle. Comment ne pas se prendre au jeu ? C’est vrai quoi : on a l’impression d’être (ou on désire être) le maître de sa vie, d’être quelque chose de fixe, d’immortel en l’instant, qui traverse un monde changeant, incertain, pour aller quelque part. Il y a donc « Moi » d’une part, et de l’autre le vaste monde, les autres, les soucis, les espoirs, etc. Le petit « Moi » est aux prises avec tout ça, allant vers un destin, écrivant une histoire personnelle, avec des réussites, des défaites, des erreurs d’aiguillage, des peurs, des blessures, et le désir chevillé au corps d’être aimé. Quelle aventure ! Quelle chouette bande-annonce de film !
Quelque chose à lâché en moi il y a quelques années, lorsque je suis tombé gravement malade, déclenchant un phénomène de réactions en chaîne, un mouvement ondulatoire, et un changement radical de perception en moi.
Je ne crois pas à la réalité de ma petite personne comme centre du monde, ou chaque décision qui est prise semble être de la plus haute importance, engageant une vie tout entière, un avenir. Je n’ai plus envie de faire semblant d’y croire. « Être » et « Plaire », ce n’est pas du tout la même chose. C’est vu, entendu. Mes décisions, mes choix n’ont pas grand intérêt. Ils n’empêcheront en rien la réalisation de ce que je suis. Et je suis de plus en plus conscient d’être ce mouvement permanent, ce changement, cette activité cellulaire, organique qui est la vie même, qui est un élan d’amour sans condition, qui n’appartient aucunement à « Christophe ». Je suis le témoin de ça, et je veux accompagner ce mouvement de vie au plus près jusqu’à l’être totalement, dans la fraîcheur de l’instant.
A propos du « personnage »
Même si l’identification au « Je » n’a pas beaucoup de consistance, cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a pas de personnage. « Christophe » est une sorte d’avatar que j’ai crée petit (en toute conscience en ce qui me concerne) pour me protéger de certaines blessures, comme vous avez crée le votre (de façon inconsciente pour la plupart des gens). C’est une interface qui me permet d’entrer en relation avec d’autres avatars sans trop être blessé. Il n’est pas question pour moi de vouloir en finir avec « Christophe ». J’ai un ego très fort et un mental très puissant, ce sont eux qui sont à la base de ce désir de « Plaire ». Je ne peux pas réduire l’ego et le mental au silence à tout jamais. C’est impossible de toutes les façons.
J’avoue que je n’ai pas goût à vivre dans une espèce de joie impersonnelle, capable d’accueillir le pire avec un détachement serein. « Christophe », même s’il n’est pas très défini et qu’il manque de contours, est bien présent. Il me permet d’expérimenter le monde, la relation, ma soif de découvrir des tas de choses pas forcément utiles, mais passionnantes à ses yeux de personnage, il me permet de ressentir le contact des animaux, les belles bagnoles, et sans oublier les matchs du PSG en mangeant des chips !
Ce « Christophe » est une part de ce que je suis. Aujourd’hui que la carapace est vue pour ce qu’elle est, la vie est bien plus légère, plus amusante malgré tout.
Je n’ai plus l’exigence de devenir « Christophe », je prends plaisir à ressentir la vie même, le mouvement organique d’un élan spontané, joyeux, à simplement être, à expérimenter. Je tâtonne dans le changement en toute vulnérabilité.
La perception très mentale de de vouloir être comme ceci ou comme cela est en train de me quitter. Cette tension énorme me maintenait debout, enfermé dans le donjon de ma tête avec la perception fausse que mon mental surpuissant était le repère fixe de l’expérience. Comme si j’étais à l’intérieur de la tête d’un géant d’acier rouillé que je manœuvrais à l’aide d’un assemblage de moteurs, de poulies et de câbles pour aller vers quelque part, vers les gens, des événements extérieurs.
Alors quand on découvre la fluidité et la légèreté du changement : quel kiffe !