De moins en moins de mots

De moins en moins de mots

De moins en moins de mots 940 360 Christophe LE BEC

Je l’ai déjà écrit dans plusieurs articles sur ce site, les mots sont des gros menteurs. Je dis cela avec une infinie tendresse car je dois énormément aux mots. « Les mots », c’est d’abord le titre d’un livre que j’ai dévoré à 12 ans dans lequel Jean-Paul Sartre raconte son enfance et le lien qu’il a tissé avec les mots. Étrangement, c’est également mon enfance qu’il racontait ! Ce n’est pas que je m’identifiais au jeune héros de l’histoire, que je voulais être comme lui, mais bien que je lisais ma propre histoire à mesure que je tournais les pages, telle que je la percevais en tout cas. C’était un sentiment très troublant. Comment était-il possible qu’un vieux chnoque que je ne connaissais pas raconte ma vie d’enfant, mes pensées, mes sentiments, ma perception de ce monde ?

Début de l’histoire

Je dois beaucoup à ce roman qui exprimait ce qui m’habitait intérieurement. Depuis, l’écriture tient une place centrale dans mon existence et représente ma principale source de revenus : j’ai commencé par écrire des publicités, puis des bandes-annonces à TF1 et Eurosport, j’ai ensuite écrit des scénarios, des nouvelles. J’ai écrit sur le cinéma dans un magazine papier, pour un site d’informations en ligne, puis j’ai écrit pour le magazine d’une collectivité territoriale lorsque je me suis installé en Bretagne. Ah, j’oubliais, je suis aussi… Ghost Writer (un nègre comme on dit en France, terme nettement moins joli et beaucoup moins juste que le terme anglo-saxon). Parallèlement, j’ai tenu une bonne dizaine de blogs différents, sur divers sujets jusqu’à cet article que vous êtes actuellement en train de lire sur ce site.

Je crois pouvoir dire que les mots et moi, c’est une longue histoire avec ses hauts et ses bas. Les mots m’ont permis de « pécho de la meuf », de m’amuser, de rencontrer des tas de gens passionnants, d’apprendre par moi-même des tas de métiers différents… en lisant des livres, puis en mettant les mains dans le cambouis (ou plutôt, dans l’encre !). Ça, ce sont les hauts !

Les mots sont des fenêtres (étroites)

Comme les autres me terrifiaient, je me suis servi de ce que je connaissais le mieux pour définir ce monde menaçant dont « les règles » m’échappaient totalement. Grâce aux mots que j’ai posé dessus, j’ai pu rendre ce monde moins anxiogène à mes yeux. Il faut donc comprendre que j’ai écrit, analysé et mis en mots le monde tel que le pensais dans le but d’avoir moins peur. J’ai fait dire aux mots ce qui m’arrangeait. Et ce monde si bien écrit, si bien architecturé et à la logique implacable étaient donc uniquement constitué de croyances et de jugements en béton armé dans lesquels j’enfermais soigneusement les autres. Les mots n’étaient plus des fenêtres me permettant de voir le monde et d’entrer en relation, les mots étaient devenus les murs infranchissables d’une prison mentale flanqués de rares meurtrières étroites.

Finalement, les seuls êtres vivants avec lesquels j’étais absolument sincère et authentique, étaient les animaux, les chiens principalement. Je tenais les êtres humains enfermés dans des définitions qui me rassuraient et les maintenaient à distance raisonnable, c’est à dire loin.

Les mots étaient alors très importants pour moi, pour contrôler ma vie, les autres, le monde. Mais j’ai vécu seul et très isolé jusqu’à 35 ans, j’étais incapable de m’ouvrir à qui que ce soit, j’étais incapable d’être authentique de quelque façon que ce soit.

Nous sommes toutes et tous des professionnels du verbe. Nous faisons dire aux mots ce qui nous arrangent ou ce nous croyons. Nous employons le même langage, mais il n’a jamais la même signification pour chacun. Au final, en utilisant le langage verbal pour communiquer, il est quasi impossible de se comprendre. C’est d’ailleurs le point de départ de la création de la communication non violente (CNV) par Marsall Rosenberg qu’il a présentée dans son livre « Les mots sont des fenêtres, ou bien ils sont des murs ».

La méthode est géniale, mais elle oblige à passer par un langage qui reformule toujours ce qui est dit de manière à être compris et non interprété par l’autre. En gros, son emploi n’est pas très naturel et cela contrarie, au moins au début, l’élan de notre spontanéité. Il me semble que le fait de ne plus croire à son personnage, de ne plus s’identifier à son histoire, à des pensées, des croyances permet aussi de communiquer plus librement.

Permis de démolir

Depuis quelques années, les murs que j’avais dressés pour me protéger sont tombés les uns après les autres. J’en profite pour remercier ma compagne qui s’est employée avec gourmandise à secouer mes certitudes et mes belles pensées. Sa spontanéité a tout fait péter joyeusement à grands coups de masse. Il reste quelques châteaux de cartes ici où là à démolir, quelques prisons que je n’ai pas encore ouvertes contiennent encore des idées ou croyances qui résistent. Je sais aujourd’hui qu’il suffit de regarder le monde tel qu’il est, en toute honnêteté pour Voir.

Voir est très différent de nommer. « Voir » ne juge pas. Alors que les mots définissent, cataloguent, interprètent, « Voir » embrasse simplement ce qui s’offre au regard. Sans définition, sans concept.

Le silence ressent…

Je suis un homme qui fait l’expérience du monde. Je suis très heureux de jouer avec mes congénères au jeu de « Je suis Christophe » et « Tu es toi », et comme toute personne, il m’arrive encore régulièrement de juger, cataloguer les autres êtres humains. Mais cela n’a plus aucune force et plus de conséquences. Je « vois » que je suis pris dans le jeu, que pendant un moment, j’ai encore cru à l’histoire. Très vite, l’apparente solidité du monde s’effrite d’elle-même et perd toute consistance pour se délayer dans le silence. Mes jugements et mes croyances avec.

Aujourd’hui, j’appréhende les situations avec de moins en moins de pensées sur ce qui est, sur comment les gens sont, sur comment ils devraient être. Je ressens par contre de plus en plus l’énergie vibratoire qui est là. Dès que le « bruit » des mot s’interrompt, le calme peut s’installer dans le silence de l’instant où tout est énergie.

Dans le silence, la nécessité d’être quelqu’un et de défendre ce quelqu’un face aux autres se dissout. La tension qui fait tenir debout ce personnage social que nous sommes avec son histoire, ses peurs, ses colères se relâche enfin et alors on peut voyager dans le regard de sa compagne, d’un inconnu, d’un enfant ou d’un chien. Il est alors temps de leur dire « les mots bleus, les mots qu’on dit avec les yeux ! »


Christophe LE BEC

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