Avant après : le grand basculement

Avant après : le grand basculement

Avant après : le grand basculement 940 360 Christophe LE BEC

Je n’ai pas vécu le Grand basculement dont on entend parfois parler ; cet écroulement de la personnalité, ou pour être plus juste, de l’identification au personnage que l’on croyait être jusque là. Pour ma part, mon expérience est un peu particulière dans le sens ou je n’ai jamais cru au personnage. Comme tout un chacun, j’ai créé, vers l’âge de trois ou quatre ans, un personnage pour me protéger de la souffrance, pour être aimé de mes parents, mais là où habituellement, l’enfant s’identifie totalement au personnage et en oublie ce qu’il est vraiment, je l’ai fait en conscience. J’ai fait semblant, comme un agent infiltré chez les narco-trafiquants ! Je n’ai donc jamais oublié, contrairement aux autres enfants qui construisent un faux self de façon quasi automatique. Je n’ai donc pas eu à redécouvrir que je n’étais pas le personnage, c’était très clair pour moi. La difficulté était d’un autre ordre. J’étais tellement rompu à l’art de dissimuler les émotions qui m’habitaient, que le contrôle était devenu une seconde nature, un réflexe vital. Là où les autres croyaient sincèrement être le personnage, je ne voulais simplement pas être reconnu.

C’est donc assez amusant, car malgré une expérience en apparence très différente de la majorité des gens, elle est en réalité très proche. Je n’avais pas à lâcher le personnage, mais à lâcher le contrôle. Il y a eu quelque moments compliqués, des hauts et des bas, mais pas de nuit noire de l’âme ou de descente aux enfers. Ce que j’ai vécu s’apparente davantage un outing. L’idée était plutôt de sortir du bois, d’enlever le faux nez, le camouflage.

Lorsque la lumière se rallume dans la salle d cinéma à fin du film, au lieu d’avoir disparu sur le grand écran blanc immaculé comme tous les autres personnages, je suis le combattant en tenue de combat, fusil d’assaut entre les mains, qui sort de sous un siège au milieu de la salle de cinéma.

La lumière s’est rallumée dans la salle. Comme tout le monde, j’ai vaguement l’impression de me réveiller d’un rêve très intense et pendant quelques secondes, j’ai mal aux yeux, je suis un peu désorienté, je manque de mots. Pour autant, la salle de cinéma ne m’est pas inconnue. Je sais exactement où je suis, et je sais parfaitement que l’histoire n’a jamais été réelle.

Sortir du bois s’est fait dans le silence, sans aucun effort. Je conviens alors de ce que je suis vraiment. J’avoue ! Je me rends ! C’est comme si ce que je suis avant la fausseté des mots, avant l’usurpation d’identité, avant d’avoir un nom, une histoire personnelle, des conditionnements, des croyances, avait simplement et tout naturellement repris sa place, ou s’était tout simplement actualisé, comme on reload une vulgaire page web !
C’est exactement cela que j’ai vécu. Le film dans lequel j’avais joué était une une série B, un film de guerre un peu bidon, mais j’avais fait semblant d’y croire, pour faire comme les autres.
Dans le film, l’acteur ou l’agent secret est un menteur. Il ment pour être aimé, pour avoir de l’argent, il ment pour faire semblant « d’exister », de s’améliorer, de se libérer. Pourtant, comme les autres comédiens du film il vit lui aussi une grande aventure qui aurait pu s’appeler la quête de l’éveil ou de la libération. C’est en fait la même aventure, juste une question de niveau de conscience qui est légèrement différent. Comme les personnages, l’agent secret infiltré s’interroge beaucoup, avec toujours comme intention ultime la fin de la souffrance et la quête du bonheur, même s’il ne semble pas encore capable de le vivre, il peut par instant le toucher du doigt. Mais il y a une sorte d’empêchement structurel. Tant qu’il cherche à trouver la clé, le Graal, tant qu’il cherche la compréhension juste, l’acteur ne peut pas complètement rencontrer sa source, dans la simplicité de l’instant. Il demeure prisonnier du film qu’il écrit en direct, qu’il dialogue avec talent, et dont il met en scène chaque séquence. Il est collé à l’histoire, aux émotions, à la recherche d’une fin heureuse, belle, comme dans son rêve. L’acteur, malgré sa conscience aiguë de ce qui est ne peut pas quitter le film, car il ne veut pas être découvert. Il est son propre rêve.

Je ne connais pas la fin du film. « La projection a été interrompu suite à un incident technique indépendant de notre volonté. » Pas de Euréka ! Pas de « Bon sang, mais c’est bien sûr ». Rien. Aucun grand basculement spectaculaire. Juste le silence dans la salle de projection déserte et moi, ou plutôt la présence silencieuse que je suis et une impression d’éternité presque miraculeuse qui emplit l’espace.

Lorsque je suis sorti de la salle, je me suis retrouvé projeté à nouveau dans le film : les voitures, le bruit, les autres, les peurs, l’émotion, tout était là, à nouveau. Exactement à l’identique. Mais il y a une énorme différence. Je ressens totalement que je suis à la fois le film, l’écran blanc, et la salle de cinéma. Tout le temps, en même temps. J’ai conscience d’être le comédien, le metteur en scène et le spectateur ! Je me sens étrangement libéré, alors que tout est pareil. Je ne suis plus empêtré dans le désir d’identification au rôle que je joue. C’est comme si tout coexistait tranquillement, là où 5 minutes avant il y avait du refus, de la colère, la volonté de contrôler ou modifier le cours des choses pour faire semblant d’être bien, parfait et aimé. Si on me fait une queue de poisson sur la route, il y a de l’énervement, mais, mais l’impact n’est plus du tout le même. Je ne suis plus pris, personnellement, dans l’émotion. C’est juste le film qui se joue.

Sans mes protections, je me sens hyper vulnérable, mais cette vulnérabilité, au lieu d’être vue comme une faiblesse, est perçue comme une force. Je la kiffe grave ! Elle me libère du poids du devoir. Je me rends compte que tout ce qui m’empêchait d’être, c’est justement cette peur d’être vulnérable : peur de mourir, d’être abandonné, rejeté, de mourir, etc, et le désir de faire bien, d’être parfait. Cette vulnérabilité que j’accueille me permet tous les possibles. Tout est possible.

Pour finir, je ne sais pas ce qu’est l’éveil. Cela ne m’intéresse pas, ou plus, comme si la question ne se posait simplement plus. Je devine que cette dernière phrase peut sembler très prétentieuse. Je n’ai pas dépassé ce questionnement, soyons clair, mais il n’a plus d’importance dans ce que je vis et ressens ici et maintenant. Mais peut-être la question de l’éveil reviendra-t-elle m’attraper par le col de la chemise demain, allez savoir ! 🙂

P.S. : Si j’aime autant les animaux, c’est parce que ce sont les seuls êtres vivants avec lesquels j’ai toujours été à 100% ce que je suis, à 100% honnête et authentique, c’est à dire sans concept, sans mot, sans jugement, pour communier simplement dans le silence de la présence.

Christophe LE BEC

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