À propos des faits et de la vérité (en politique et ailleurs)…

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À propos des faits et de la vérité (en politique et ailleurs)…

À propos des faits et de la vérité (en politique et ailleurs)… 1733 1300 Christophe LE BEC

Voici le conseil donné par le philosophe (et accessoirement mathématicien, donc plutôt rationnel) Bertrand Russell en 1959 pour les générations futures : se demander ce que sont les faits et la vérité, et ne pas se laisser embrumer par ses croyances. Mais il faut bien reconnaître que l’exercice n’a rien d’évident ni de naturel ; d’autant moins que nous avons tendance à confondre nos croyances avec la réalité et que nous vivons dans une société de l’entertainment. Nous naviguons dans un monde apparemment bien plus complexe et confusant que par le passé, les récits affluent de partout et les images prennent une place prépondérante. Le storytelling, « technique de communication politique, marketing ou managériale qui consiste à promouvoir une idée, un produit, une marque, à travers le récit qu’on en fait, pour susciter l’attention, séduire et convaincre par l’émotion plus que par l’argumentation » (définition du Larousse), a envahi l’espace publique. Les émotions semblent guider les individus, qu’il s’agisse de choisir son prochain smartphone, ses vêtements ou sa voiture, son lieu de vie ou de vacances, ses représentants politiques ou même pour se faire un avis sur l’actualité ou les grands problèmes du monde.

UNE HISTOIRE DE RÉCIT

Les mots ont un sens, mais avec un bon récit on peut les utiliser pour leur faire dire exactement l’inverse de la réalité qu’ils devraient décrire. Ainsi, à titre d’exemple, un plan de retour à l’emploi signifie en fait qu’une entreprise licencie. Il y a quelques années on utilisait une autre formule plus en accord avec la réalité : un plan de licenciement. Mais le personnel politique et tous les leaders d’opinions savent bien que la réalité passe mal dans l’opinion et qu’il vaut mieux décrire cette réalité de façon à la rendre présentable, acceptable, séduisante. Les agences de communication qui excellent depuis une centaine d’années déjà dans l’art de faire croire qu’une marque a une âme et qu’elle véhicule des valeurs auxquelles on adhère par l’acte d’achat, ont donc intégré la communication politique à leurs domaines de compétences. Je ne cherche pas à déterminer où se situe le bien et le mal, mais simplement à décrire comment fonctionne le monde aujourd’hui.

LA DICTATURE DU « J’AIME, J’AIME PAS »

La communication politique a quasi remplacé la politique. Les éléments de langage proposés par les communicants se trouvent repris par toute la classe politique, chaque camp opposant les siens. Chaque parti politique, mais aussi les syndicats, les groupes de pression (lobbys), les religions, martèlent leurs lectures des faits sous forme de récits calibrés, marketés, avec ses mots clés, ses autoroutes de pensées prémâchées. Il faut séduire avant tout. Il n’y a aucune volonté d’exposer une vision claire, mais de favoriser une rivalité entre des récits différents : « J’aime, j’aime pas ». Et celui qui l’emporte sur les autres récits fera office de vérité du moment : « J’y crois, donc c’est vrai ! ». En cela, la crise du Covid a valeur d’exemplarité. Chacun, expert ou pas, y va de son avis (avis que la plupart confond avec une vérité). L’immense majorité (99,9 %) de ceux qui émettent un avis n’a jamais travaillé sur le sujet dont elle débat à grands renforts d’arguments qu’elle s’approprie, mais dont elle ignore tout en général. Il en va de même au sujet de la réalité ou non du réchauffement climatique, de l’élection de Joe Biden, de la guerre en Ukraine, etc.

Cette forme d’adhésion à un récit ne s’appuie pas sur une compréhension du contexte, des enjeux et des propositions claires pour y répondre, mais sur une petite musique entraînante qui accompagne le lecteur ou l’auditeur. Certains prétendent faire de la pédagogie, mais en réalité il s’agit d’avancer ses pions les uns après les autres, dans une suite narrative qui semble logique, mais qui fait l’impasse sur tous les éléments de compréhension qui pourraient faire appel au sens critique. Cela s’avère vrai en politique, mais aussi en gestion de santé publique (Covid-19), en écologie, climatologie, en marketing pour vendre du shampoing ou un livre, etc.

Pourtant les mots ont un sens. Alors pourquoi ne préfère-t-on pas parler avec les mots justes de la réalité ? Pourquoi opposer des récits et non la réalité des faits ?

GAGNER LA PARTIE OU VIVRE HEUREUX

Lorsque l’on parle d’adulte à adulte avec les citoyens, les consommateurs, les usagers, les téléspectateurs, les internautes, ou avec ses voisins, son partenaire de vie ou ses enfants, on n’a pas besoin de manipuler ou d’instaurer un climat particulier. L’autorité ne se décrète pas ou ne s’impose pas par la volonté, elle s’impose de façon naturelle à travers la ou les compétences. Lorsque l’on parle d’adulte à adulte, on a l’ambition de trouver un terrain d’entente, d’échanger pour trouver ce qui nous unit et tracer, ensemble, un chemin possible, une voie nouvelle qui s’appuie sur les compétences des uns et des autres. Il s’agit d’une addition, et non d’un point de vue contre un autre. Il n’y a donc pas un gagnant et un perdant, mais uniquement des gagnants. Il y a dans ce processus un vrai bonheur d’agir ensemble, de se reconnaître. La convention citoyenne convoquée par Emmanuel Macron illustre parfaitement cette intelligence collective à l’œuvre.

Lorsque l’on fait le choix de parler à l’émotionnel des individus et non à leur intelligence, on court-circuite volontairement la capacité des individus à penser le monde, à le questionner, à faire des choix en conscience et à s’autodéterminer. Il n’y a plus de volonté d’éclairer le débat en posant les termes d’une action politique, sociale, entrepreneuriale ou même familiale, mais de tracer un chemin (un récit) pour y guider ses interlocuteurs. Privé des faits et des données pour faire un choix, le quidam, le bénévole, l’associé ou l’enfant ne peut plus que réagir, adhérer ou rejeter. Pour mieux affiner les cibles, et parce qu’on ne tient pas le même langage à un homme politique qu’à un ouvrier, à un chef d’entreprise qu’à un artiste ou une mère au foyer, on ne raconte pas du tout la même histoire aux uns et aux autres. Il s’agit de choix d’angles de vue, de la mise en avant de certains faits et de l’omission de certains autres, en fonction du public du concerné. La vérité ou l’histoire peut importe alors. L’important réside dans le résultat obtenu : avoir raison et gagner.

JE SAIS !

Il semble très difficile de ne pas savoir et de se sentir à l’aise dans cette posture dans un monde abreuvé d’informations. « Je ne sais pas » préside pourtant à toute recherche scientifique ! Lorsque je m’installe dans un profond « je ne sais pas », alors je peux entendre les autres, et je peux regarder les faits sans les interpréter immédiatement ; et puis je peux m’informer en croisant les sources, en regardant sans a priori les différentes positions. Je peux ensuite me faire une idée, à partir de ce que je comprends, tout en sachant, et ça me semble hyper important, qu’il ne s’agit jamais que d’un point de vue de quelqu’un qui profondément ne sait pas. Il ne s’agit pas d’une posture de ma part ou d’une facilité, il s’agit d’un fait. La science tente d’expliquer un monde de plus en plus complexe à mesure que les connaissances s’accumulent, s’affinent. Il faut donc reconnaître avec un peu d’humilité que l’on ne sait pas. On ne sait en réalité pas grand-chose du monde qui nous entoure, nous ne savons même pas vraiment comment fonctionne notre propre corps. Il y a une très grande tranquillité qui émerge lorsque l’on accueille avec calme et bienveillance notre propre ignorance.

UN MONDE VIRTUALISÉ

Nous vivons dans un monde de plus en plus coupé du réel, et cela me semble constituer une des raisons possible de notre relation compliquée aux faits, je dirais même qu’il s’agit d’une relation contrariée.

Qui, aujourd’hui, travaille à faire en sorte de pouvoir vivre ? J’entends par là : qui fait un travail qui produit quelque chose qui lui permet de vivre, comme produire sa nourriture, ses œufs, ses vêtements, soigner avec ses mains ou les plantes de son jardin, faire du pain, des outils du quotidien… ? Qui participe à créer de la vie par son travail, à créer des écosystèmes viables localement, à l’échelle de son territoire ? Très peu de personnes en réalité.

NOUS, DANS L’UNIVERS

Moins nous agissons pour assurer concrètement notre survie, plus nous vivons coupé de la nature, du corps, plus nous nous projetons dans un monde illimité, globale, qui nous dépasse totalement. La radio, puis la télévision, internet aujourd’hui, nous apportent l’univers entier sur nos écrans. Ils nous offrent la possibilité de consommer, voyager ou d’apprendre toujours plus pour de moins en moins cher. Internet et les outils numériques ont étendu à l’infini notre capacité à embrasser le monde et à satisfaire nos moindres désirs instantanément. Notre attention zappe ainsi entre les lieux, les sujets, les époques, les envies, avec une incroyable facilité. Notre attention devient un incroyable enjeu pour toutes sortes de diffuseurs qui ont compris comment parler à notre ego, qu’il s’agisse de marques, de mouvements politiques, religieux ou spirituels, de médias, de groupe de pression, de personnalité, d’influenceurs, etc. Plus notre attention répond à ces intérêts hétéroclites, plus l’extérieur (le monde) prend de l’importance à nos yeux et plus notre individualisme croît, plus notre image devient importante. Nous vivons alors tourné vers l’extérieur, obnubilé par la satisfaction de nos désirs. Nous vivons tourné vers le passé et l’avenir, mais jamais présent à l’instant.

NOUS, DANS LA NATURE

Plus nous agissons là où nous nous trouvons pour faire par nous-même ce qui a du sens dans notre vie, plus nous acquérons de l’autonomie. Plus nous agissons pour répondre à nos besoins essentiels, moins nous avons de « temps-libre ». Nous avons moins de loisirs, nous partons moins en vacances, mais nous vivons en lien avec la terre, les éléments, le vivant qui nous entoure. Plus nous avons les mains dans la terre ou dans la matière, plus notre monde devient celui dans lequel nous agissons concrètement ici et maintenant. Il s’agit à mon sens d’un cercle vertueux, fertile.

Cela ne signifie pas que l’on ne doit pas s’intéresser au monde ou à la vérité, je veux simplement dire qu’il y a beaucoup de douceur pour soi dans le fait de toujours se rappeler que l’on ne sait pas, que nous traversons le monde dans un état de profonde vulnérabilité, et que s’abandonner dans les bras de la vie au lieu de s’accrocher avec le mental à des vérités s’avère extrêmement libérateur et joyeux.

« La vérité doit être expérimentée, non enseignée. »

Hermann Hesse

Christophe LE BEC

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